De Robertis Carolina - La montagne invisible

  • 15 juillet 2013

"Mais il y avait aussi sa mère et sa grand-mère, leurs aventures, que Salomé n’avait pas vécues mais dont elle connaissait les histoires, riches, envahissantes, parfois subtiles, parfois si puissantes qu’elles vous submergeaient ou vous envoyaient au paradis. D’autres histoires étaient restées secrètes, ne laissant qu’un silence entre eux." p. 14

Monte. Vide. Eo. Le roman La Montagne Invisible se passe essentiellement en Uruguay et surtout dans sa capitale.
Il s’agit avant tout d’un roman décrivant la vie de 3 femmes : leur naissance, enfance, adolescence, leur vie de femme, de mère, leurs évolutions.

3 femmes. 3 générations

Pajarita, Eva et Salomé = la grand-mère, la fille, la petite-fille.

  • Pajarita.

Née au début du 20e siècle, elle vit dans un milieu rural qu’elle quittera lors de son mariage avec Ignazio, un italien qui a émigré en Uruguay quelques temps auparavant. Son mari partira un jour, la laissant seule avec les enfants. Elle met alors ses talents de guérisseuse à contribution et devient une spécialiste de la prescription des plantes médicinales.

« Venaient des femmes au foyer, des servantes, des couturières aux mains meurtries, des femmes adultères aux mains moites, des arrières-grands-mères courbées en deux, des jeunes filles pâmées d’amour. Pajarita les écoutait toutes, immobiles comme une chouette. Puis elle leur tendait un petit sachet et leur expliquait le mode d’emploi. » p. 89

  • Eva.

Jeune fille intelligente passionnée par la poésie se retrouve dans l’obligation de travailler à l’âge de onze ans. Les déboires qu’elle rencontre la pousse à fuir l’Uruguay. Elle suit son meilleur ami en Argentine où elle rencontrera Roberto, un médecin qui l’épousera. Elle devra toutefois retourner en Uruguay, où elle restera seule, avec ses 2 enfants, où elle continuera à écrire des poèmes et rencontrera Zola, une coiffeuse.

« — Mon ami Pietro te propose un emploi. Dans une boutique de chaussures. C’est une... comment dire, une grande chance, pas facile à trouver à Montevideo. Ta mère pense que tu n’accepteras pas, moi je crois que oui. Tu sais pourquoi ?

Eva fit non de la tête. Son père se pencha vers elle. Elle sentit son eau de Cologne légèrement acidulée.
— Parce que tu es une fille intelligente. Tu sais qu’on peut apprendre dans des tas d’endroits différents. Pas seulement à l’école. Tu te rends compte de ce que t’apporterait un emploi.

[...]

— Je ne pourrais plus aller à l’école ?

Papa acquiesça. Eva fixa la photo. Elle aurait voulu la détruire, la brûler, l’envelopper dans de la soie et la remiser en haut de la tour sous la protection d’un génie. Son père - pas celui de la photo mais le vrai - se passa une main dans ses cheveux grisonnants. Le soleil avait diminué. Il ne dorait plus son visage.

— J’irai..., dit-elle.
— Eva, c’est ...
— ... si tu me jures d’arrêter de boire
— Comment ?
— Oui, si tu ne bois plus.
Ignazio examina la pièce comme s’il était perdu ;
— Tu te rends compte de ce que tu me demandes ?
— Et toi ? »

p. 140-141

  • Salomé.

Elle est la fille d’Eva. Intelligente, elle est une petite fille obéissante. Une adolescente sérieuse. Elle va se lier d’amitié avec Leona qui va lui permettre d’intégrer le groupe armé des Tupamaros - mouvement politique uruguayen d’extrême-gauche qui prône l’action directe et la guérilla urbaine. Réunions secrètes, missions secrètes... Salomé va s’investir totalement pour les Tupamaros jusqu’au jour où elle va être arrêtée. Cette partie concernant la vie de Salomé donne davantage à voir le contexte politique de l’époque.

« Mais Salomé ne pouvait pas parler de son avenir, ne pouvait pas dévoiler à sa mère ma poignée d’avenirs dont elle disposait, les fusils sous son matelas, les plans dans sa tête, les actions qu’elle entreprenait chaque jour, à chaud, en secret, pour l’avenir, pour le peuple. » p. 393

  • Et puis, il y a aussi Victoria...

Mais je vous laisse lire le livre pour savoir qui elle est...

La relation mère-fille et la figure de la mama omniprésente

« Eva regarda le visage maternel : fin, solide, encadré par deux nattes épaisses. Elle n’en voyait que le haut mais savait que ces nattes étaient bien là, tombant au bas de son dos. De toutes les choses qu’Eva connaissait, rien n’était plus sûr que ces deux nattes noires. » p. 155

Pajarita, Eva et Salomé ont chacune leur vécu, lié à leur éducation, à la conjecture de leur génération, au contexte politique et social de leur époque. Ce qui sert de fil rouge au livre, c’est un profond respect mère-fille très touchant. Tout au long de l’histoire reste présente l’image de la mère : une mère rassurante, qui ne juge pas, qui ne pose pas de questions, qui n’impose rien, qui est présente même absente physiquement, qui guérit, que l’on a peur de décevoir.

« Elle avança vers la grille de la prison. Une foule se pressait dans la rue, les bras grands ouverts. Elle scruta la multitude de corps, de visages, jusqu’à ce qu’elle les vît, debout, patientant, bousculées, le maté à la main : abuela et mama. » p. [478]

Au fait, pourquoi ce titre ?

« Monte. Vide. Eo. Je vois une montagne, avait dit le premier Européen en découvrant cette terre. Pajarita n’avait jamais vu de montagne, mais elle comprit qu’il n’y avait pas de montagne à l’horizon. » p. 67

Mon avis :

J’ai aimé ce livre. Je suis bien souvent déçue par les fins d’histoire. Ici au contraire, je n’avais pas envie que le roman se termine.
Il est bien écrit. Très bien écrit. Les descriptions sont vraiment pertinentes. La documentation historique est solide.

A certains moments, notamment dans la 3ème partie concernant Salomé, on pourrait être tenté d’en savoir un peu plus, on souhaiterait que l’auteure aille un peu plus loin dans la description du contexte politique, de l’organisation des Tupamaros..., mais je pense que cette manière d’effleurer le sujet est volontaire. Le roman traite avant tout de la vie de ces 3 femmes, avec en arrière plan leur relation forte, qui résiste malgré les épreuves de la vie. Une des qualité de l’écriture de Carolina de Robertis est la suivante : dire peu pour en fait nous en dire long.

>> PS : Ne pas oublier, une fois les dernières lignes lues, de relire les premières lignes du livre...

Référence

La montagne invisible [Texte imprimé] / Carolina De Robertis ; traduit de l’américain par Daphné Bernard. - Paris : Librairie générale française, impr. 2012 (72-La Flèche : Impr. CPI Brodard et Taupin). - 1 vol. (525 p.) : couv. ill. en coul. ; 18 cm. - (Le livre de poche ; 32194).

. - Trad. de : The invisible mountain
ISBN 978-2-253-15782-3 (br.) : 7,60 EUR. - EAN 9782253157823

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